Le débat sur le lien entre troubles psychiatriques et passage à l’acte criminel ou violent revient régulièrement dans l’espace public, souvent à la suite de faits divers choquants. Ces événements suscitent des réactions émotionnelles fortes et poussent à chercher des explications rapides et rassurantes. Dans ce contexte, les troubles psychiatriques sont souvent désignés comme des causes directes du passage à l’acte, suggérant une corrélation évidente entre maladie mentale et dangerosité. Mais cette association est-elle réellement fondée ? Repose-t-elle sur une véritable corrélation ou s’agit-il davantage d’une coïncidence interprétée de manière erronée ou simplificatrice ?
Il est crucial de distinguer l’impression intuitive du raisonnement fondé sur les faits. Nombre d’études montrent que, dans la grande majorité des cas, les personnes souffrant de troubles psychiatriques ne présentent pas un comportement violent. Certaines pathologies peuvent être associées à une augmentation modérée du risque de passage à l’acte, notamment lorsqu’elles sont non traitées, ou lorsqu’elles coexistent avec d’autres facteurs aggravants comme la consommation de drogues, un environnement familial violent, un isolement social profond ou une précarité extrême. Cependant, ces cas particuliers ne doivent pas être érigés en norme.
En réalité, les troubles psychiatriques ne sont pas une cause directe de violence, mais parfois un élément parmi d’autres dans un enchevêtrement de facteurs complexes. Ce que l’on observe, c’est que certaines personnes atteintes de troubles graves peuvent, dans des situations de grande détresse psychique, avoir des comportements désorganisés ou inadaptés. Néanmoins, cela ne signifie pas nécessairement violence envers autrui. Le passage à l’acte est souvent déclenché par une accumulation de tensions, d’échecs dans le parcours de soins, ou par l’absence d’un encadrement médical et social suffisant.
Ce que les recherches tendent à démontrer, c’est que la société projette beaucoup de peurs irrationnelles sur la maladie mentale, souvent alimentées par les représentations culturelles. Les films, les séries, les médias d’information jouent un rôle central dans la construction d’un imaginaire où les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont perçues comme imprévisibles, voire dangereuses. Cette représentation biaisée finit par produire une peur injustifiée, qui alimente à son tour la stigmatisation et l’isolement des personnes concernées.
Il faut aussi rappeler que les malades psychiatriques sont eux-mêmes souvent victimes de violences, bien plus qu’ils n’en sont les auteurs. Leur vulnérabilité les expose à des abus dans les espaces publics, familiaux ou institutionnels. Ce paradoxe est rarement évoqué dans les récits médiatiques, ce qui renforce une perception erronée du danger qu’ils représenteraient.
Ainsi, s’il existe parfois une corrélation entre certains troubles graves et un risque accru de passage à l’acte, cette relation ne doit pas être interprétée comme une causalité directe ou systématique. Elle est conditionnée par des éléments extérieurs, souvent évitables, et elle ne saurait justifier une généralisation. D’un point de vue statistique, la majorité des personnes atteintes de troubles mentaux n’ont aucun comportement violent. Et inversement, une immense proportion des actes de violence sont commis par des personnes ne présentant aucun trouble psychiatrique diagnostiqué.
Plutôt que de renforcer la méfiance, il serait plus pertinent de réfléchir aux conditions dans lesquelles les soins sont dispensés, à l’accessibilité des structures de santé mentale, à la prévention des situations de crise et à l’accompagnement de qualité. Une société qui pathologise la violence détourne son regard des véritables causes structurelles : pauvreté, marginalisation, inégalités, traumas non traités, ou encore manque d’éducation à la santé mentale.
En fin de compte, la question « corrélation ou coïncidence ? » mérite d’être reformulée. Car le danger ne réside pas tant dans les troubles psychiatriques eux-mêmes, mais dans la manière dont la société les appréhende, les traite et y répond. Ce que nous choisissons de voir, d’amplifier ou d’ignorer détermine largement notre compréhension du phénomène et, par conséquent, notre capacité à construire des réponses justes, humaines et efficaces.