Les troubles bipolaires, longtemps appelés « psychose maniaco-dépressive », font partie des maladies mentales les plus mal comprises du grand public. Malgré une meilleure médiatisation de la santé mentale ces dernières années, de nombreuses idées reçues persistent autour de ce trouble. Elles alimentent la stigmatisation des personnes concernées et compliquent leur prise en charge. Il est donc essentiel de déconstruire ces préjugés pour mieux comprendre ce que sont vraiment les troubles bipolaires et ce qu’ils ne sont pas.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, le trouble bipolaire ne se résume pas à de simples sautes d’humeur. Il s’agit d’un trouble de l’humeur chronique et récurrent, caractérisé par l’alternance de phases dépressives et de phases dites « maniaques » ou « hypomaniaques ». Ces épisodes peuvent durer plusieurs jours, semaines ou même mois. Les personnes qui en souffrent vivent donc des périodes de grande excitation, d’énergie débordante, d’euphorie, voire de comportements impulsifs et à risque, suivies ou précédées de périodes de profonde tristesse, de perte d’intérêt et de fatigue intense.
Une des idées fausses les plus répandues est que les personnes bipolaires changeraient d’humeur d’une minute à l’autre, comme si elles étaient imprévisibles ou instables sur un coup de tête. Cette représentation erronée, souvent véhiculée par le cinéma ou les médias, donne une image déformée de la réalité. En vérité, les fluctuations de l’humeur chez une personne bipolaire ne sont ni instantanées ni incontrôlables sans contexte. Elles répondent à des mécanismes biologiques complexes et surviennent selon un rythme propre à chaque individu, souvent déclenchées par des facteurs de stress, des troubles du sommeil, des événements de vie ou des changements de rythme.
Autre idée reçue : être bipolaire serait une forme d’excuse ou un prétexte pour justifier des comportements inappropriés ou une « folie passagère ». Cela participe à la stigmatisation des personnes concernées, en les réduisant à leur maladie et en niant leur responsabilité et leur humanité. Le trouble bipolaire est une pathologie psychiatrique sérieuse, reconnue par les classifications médicales internationales, et qui nécessite un suivi spécialisé, souvent à vie. Comme pour toute autre maladie chronique, le traitement est essentiel : il peut inclure des médicaments régulateurs de l’humeur, une psychothérapie, ainsi qu’une hygiène de vie rigoureuse.
Certains pensent aussi, à tort, que seules les personnes « folles » ou gravement malades peuvent être bipolaires, ou que le trouble empêche toute vie normale. Or, de nombreuses personnes bipolaires mènent une existence épanouie, réussissent professionnellement, ont une vie sociale et affective riche, à condition que leur maladie soit bien prise en charge. Le diagnostic ne condamne pas à l’échec ou à l’exclusion. Parmi les figures célèbres qui ont évoqué publiquement leur trouble bipolaire, on compte des artistes, des écrivains, des scientifiques, des sportifs : preuve que la maladie n’empêche pas la créativité, l’intelligence ni la réussite.
Il est également important de faire la distinction entre les différents types de troubles bipolaires. Il existe en effet plusieurs formes, dont les plus connues sont le trouble bipolaire de type I et de type II. Le type I se caractérise par au moins un épisode maniaque (souvent sévère), parfois suivi d’épisodes dépressifs. Le type II, quant à lui, implique des épisodes hypomaniaques (moins intenses que les maniaques) et des épisodes dépressifs majeurs. Cette nuance est essentielle car elle implique des prises en charge différentes et explique la diversité des vécus chez les personnes atteintes.
Un autre malentendu fréquent réside dans la confusion entre le trouble bipolaire et d’autres troubles psychiques, comme la schizophrénie, le trouble borderline ou encore la cyclothymie. Chacun de ces troubles a ses propres caractéristiques, ses symptômes spécifiques et ses traitements adaptés. Il est donc crucial de ne pas faire d’amalgames, qui peuvent non seulement induire en erreur, mais aussi alimenter des peurs injustifiées.
La banalisation du terme « bipolaire » dans le langage courant est aussi problématique. On entend parfois des phrases comme « il/elle est trop bipolaire aujourd’hui » pour désigner quelqu’un de lunatique ou changeant d’avis rapidement. Cette utilisation inappropriée du mot vide le terme de son sens médical, minimise la souffrance réelle des personnes atteintes et renforce les stéréotypes négatifs.
Enfin, il faut souligner l’importance du diagnostic précoce et de l’accompagnement personnalisé. Trop souvent, les troubles bipolaires ne sont diagnostiqués qu’après plusieurs années de souffrance et d’errance médicale. Cela retarde la mise en place d’un traitement adapté et peut aggraver les conséquences sociales et personnelles de la maladie. Mieux former les professionnels de santé, sensibiliser le grand public et encourager les personnes concernées à consulter dès les premiers signes sont des leviers indispensables pour améliorer la prise en charge.
Briser les idées reçues sur les troubles bipolaires, c’est aussi changer notre regard sur la santé mentale en général. C’est admettre que la souffrance psychique mérite la même considération, la même attention et la même compassion que la souffrance physique. C’est reconnaître que derrière un diagnostic, il y a une personne, avec ses forces, ses fragilités, ses espoirs. Et c’est, enfin, contribuer à bâtir une société plus inclusive, plus informée et plus bienveillante envers ceux qui vivent avec un trouble mental.